mercredi 6 mars 2013

Participation à l'enquête de Sylvain Johnson, au sujet du mythe de l'écrivain torturé

Le mythe de l’écrivain torturé se poursuit – Sklaerenn Baron et la nécessité d’écrire - Par Sylvain Johnson 

Sylvain Johnson, autre auteur du collectif des Fossoyeurs de Rêves, vient de terminer une enquête sur le thème de l’écrivain torturé en questionnant ses collègues et en réalisant une série de portraits... après s'être interrogé lui-même sur le sujet (est-il un écrivain torturé, comme on lui en a fait la remarque ?). Mon tour est venu après celui de Romain Billot (le marginal), John Steelwood (et ses démons) et Gaëlle Dupille (et l'équilibre), pour conclure le sujet, en quelque sorte. C'est donc avec grand plaisir que je me suis prêtée au jeu des questions-réponses  de Sylvain. L'occasion pour moi de réfléchir à mon statut et de confier certains de  mes plus sombres secrets (suis-je, moi aussi, un écrivain torturé, alors ?????).
Voici donc l’article de Sylvain dans son intégralité (exception faite de ma biographie !). Les autres interviews réalisés dans le cadre de cette enquête sont également disponibles sur le site wordpress de notre Fossoyeur québécois.

"Je poursuis ma découverte des écrivains torturés avec Sklaerenn Baron.
Auteure prolifique – même dans ses réponses !


Les Questions et les réponses : 

Vous considérez-vous comme un écrivain torturé?

Pas vraiment. À une époque, oui, un peu, lorsque je vivais des coups durs, que j’étais vraiment très mal dans ma peau et que je prenais tout trop à cœur. J’étais à fleur de peau. Néanmoins, même si j’étais torturée (d’une certaine façon) et que j’avais besoin d’évacuer cela dans des écrits (qui sont restés dans mes tiroirs, et tant mieux!), je n’ai jamais versé dans le mythe de l’écrivain maudit, qui consomme des substances illicites et vit en marge de la société! De même, je ne me suis jamais sentie exclue ou incomprise (bon, sauf à l’adolescence, mais quel adolescent ne s’est pas senti incompris?) et à vrai dire, du moment que les gens importants pour moi m’acceptent comme je suis et m’aiment pour ce que je suis, peu m’importe le regard des autres sur moi. Et je n’ai aucune pulsion autodestructrice, j’aime trop la vie!
D’ailleurs, globalement, je suis plutôt quelqu’un de positif et je n’aime pas trop me morfondre. Évoquer sans cesse le négatif me détruit et je me suis rendu compte qu’en fait, cela m’empêche d’écrire correctement. Je préfère rêver, m’évader. L’écriture est un moyen pour y parvenir. C’est un moyen de refaire le monde, de changer ce qui m’énerve. Cela ne veut pas dire que mes livres sont tout roses, loin de là. Mais j’aime chercher la lumière dans les ténèbres, et je pense que mes écrits reflètent cela.


Ceci dit, si par écrivain torturé, tu entends un écrivain obsédé par l’écriture, qui y pense tout le temps, qui a en permanence une partie de son être dans la vie réelle et l’autre dans l’imaginaire, alors j’en fais partie, sans conteste. Écrire est un besoin. Je dois écrire tous les jours, peu importe quoi. Mais écrire. C’est aussi important que de respirer et j’y pense tout le temps (une part de moi y pense tout le temps). Une journée sans écrire est une journée perdue, une journée où je me sens mal, parce que je n’ai pas eu ma dose d’oxygène. C’est pourquoi je te rejoins parfaitement, Sylvain, quand tu dis qu’écrire est un des grands plaisirs de la vie et que même si tu n’étais jamais publié, tu continuerais à écrire. C’est la même chose pour moi. C’est même plus qu’un plaisir, c’est une nécessité. 

Décrivez vos états d’âme versus la production littéraire du moment – est-ce qu’il y a une relation entre ces deux éléments ?

Pas nécessairement, en ce sens que je peux parler de choses très noires, violentes, alors que dans ma vie, tout va bien. Quelque part, c’est même plus facile lorsque tout va bien, parce que lorsque tout va mal, ça aurait plus tendance à me bloquer pour écrire… mais pas obligatoirement non plus! Même au fond du trou, je peux parvenir à rédiger de petits textes. En revanche, dans ces cas-là, il ne faut pas me demander d’écrire quelque chose de gai, de rose, de sautillant! Cela m’est carrément impossible.
Donc oui, il y a une relation, surtout quand ça va mal, mais pas toujours. 

Que faites-vous quand vous êtes incapable d’écrire ?

Je n’insiste pas. Je sors me balader en pleine nature ou je me plonge dans une de mes séries télé préférées et je regarde des DVD en buvant du thé bien chaud. Avant, j’insistais, je m’installais pour écrire et je désespérais de ne rien voir sortir. Disons, rien de constructif, parce qu’il y avait toujours quelque chose qui sortait, mais cela ne me satisfaisait pas, et au final, je me suis aperçue que cela générait une telle frustration que ça me détruisait. Maintenant, je sais qu’il ne faut pas aller contre le courant. Il y a des jours pour écrire et d’autres non, et je ne décide pas vraiment. Si je sens que je ne vais pas pouvoir avancer dans l’histoire sur laquelle je travaille, j’en prends une autre, ou alors j’écris autre chose, un haïku, une chanson, trois lignes de réflexion, n’importe quoi. Puis quand plus rien ne vient, je vais me détendre, comme je le disais. Normalement, ensuite, ça va mieux.
Par contre, si on aborde la question sous un autre angle, non pas celui où je suis moi-même incapable d’écrire parce que je manque d’inspiration, mais celui où un événement extérieur, une obligation, un travail ou autre m’empêche d’écrire, là, c’est différent. Je le vis mal, parce que j’ai vraiment besoin d’écrire pour vivre. 

Qu’est-ce qui vous frustre le plus quand vous êtes incapable d’écrire ?

Quand je manque d’inspiration ? Le fait que j’arrive encore à être atteinte par la négativité extérieure (j’ai envie de dire le négativisme, par référence au nihilisme), le mal que font les gens autour de moi. C’est comme un cancer, ça me ronge, même si ce n’est pas nécessairement dirigé contre moi, d’ailleurs. Et c’est généralement ça qui me bloque et bloque ma créativité. C’est tuant. Je voudrais ne plus être touchée par tout ça, mais je n’y arrive pas.
Mais, une fois encore, si on aborde la question d’un autre point de vue et que je suis empêchée d’écrire pour une question « pratique » ou « matérielle » (manque de temps, ordinateur en panne, obligation de faire autre chose), je suis furieuse. Et en général, je ne peux pas m’empêcher d’écrire et de prendre des notes quand même, sur de petits bouts de papier, pour ne pas perdre les idées qui me viennent. J’ai plein de notes partout, en permanence. Parfois, je me demande comment je fais pour m’y retrouver, mais je m’y retrouve ! 

Comment vous en sortez-vous?

 Je vais m’en tenir à la question de l’inspiration. Comment je m’en sors? En me changeant les idées, comme je disais, et en me recentrant sur les choses positives, ma famille surtout. Je reprends des forces auprès de ceux que j’aime. 

Pourquoi écrivez-vous?

Parce que ça m’est indispensable. Passer une journée sans écrire, c’est comme oublier de respirer. Je ne suis pas bien. À la réflexion, cela veut peut-être dire que je suis dingue, en fait. Quel être humain normalement constitué a BESOIN d’écrire tous les jours? Ou alors, ça veut dire que j’étais faite pour ça. Allez savoir… 

Que pensez-vous de l’image classique de l’écrivain alcoolique, à moitié fou, excentrique?

Oui, c’est l’image de l’écrivain romantique du XIXe siècle, une époque où l’on pensait qu’on ne pouvait pas parvenir à trouver l’inspiration autrement qu’en utilisant certaines méthodes, alcool, drogue… Le mythe de l’écrivain maudit. Regardons Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Maupassant… et d’autres! Cela leur correspond, effectivement. Si on s’y fie, d’un point de vue extérieur, on est obligé de se dire que les écrivains sont tous de grands malades! Fort heureusement, je pense que la réalité est autre. Tous les écrivains n’en arrivent pas là ! 

Avez-vous des commentaires pertinents sur le sujet de l’écrivain troublé?

J’imagine que certaines personnes ont besoin de s’épancher dans l’écriture pour évacuer des tensions intérieures, des malaises… L’écriture agit alors comme une thérapie et leur permet d’avoir une vie à peu près normale, au lieu de devenir, je ne sais pas, des tueurs en série par exemple, des délinquants, ou au lieu de se suicider. C’est d’ailleurs une méthode qui est parfois utilisée avec certaines personnes en psychothérapie. Mais beaucoup d’autres gens écrivent juste parce qu’ils en ont envie ou qu’ils en ressentent le besoin, sans pour autant être complètement désaxés. Heureusement !


Une écrivaine au goût de vivre contagieux. Elle a un point de vue très constructif et positif et comme elle le dit si bien, elle aime chercher la lumière dans les ténèbres. Elle est un exemple parfait d’évolution et d’adaptation à son statut d’écrivain. Ses propos respirent la santé mentale et un équilibre bien en place. Écrire est une nécessité, il faut y penser à tout moment, on doit y penser à tout moment. C’est inévitable. Jusqu’ici tous les écrivains questionnés ont répondu dans le même sens.
La torture à laquelle ces écrivains font aujourd’hui face est mineure, que ce soit un mal de tête, les enfants qui se sont réveillés trop tôt et hurlent à tue-tête, un besoin de prendre de l’air frais. On est loin des poètes maudits qui n’écrivent qu’en état d’ivresse, au gouffre d’une morte imminente. C’est donc une torture contrôlée et moderne.
Ce qui ressort de ses réponses est vraiment cette force qui la pousse à écrire, qui l’incite à créer des mondes extraordinaires et des personnages merveilleux.
Le reste, elle le dit si bien dans ses propres mots…" (Sylvain Johnson)

Merci, Sylvain, pour cette enquête très intéressante, et merci pour tes commentaires. *Sklaerenn*

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